Aujourd’hui l’école Oscar de Strasbourg a le plaisir d’interviewer Paul Dorochenko, ostéopathe de renom et ostéopathe du champion international de tennis Roger Federer.
Bonjour Mr.Dorochenko,
En 1983, j’ai fait une formation d’ostéopathie avec Jean Pierre Hortoland, actuel directeur de l’Institut Franco-Britannique d’Ostéopathie qui à l’époque travaillait avec J.P. Chaudruc qui est décédé je crois. C’était les débuts de l’ostéopathie en France et cela faisait rire beaucoup de médecins quand on disait qu’un problème de cheville pouvait générer une cervicalgie.
Questions de Mélanie B. étudiante à l’école Oscar :
Oui, j’ai une clinique à Valencia et je m’organise entre consultations et mon activité sur le circuit professionnel de tennis ou dans le football. Je suis parti en 2012, une année à Moscou au Lokomotiv Moscow où je m’occupais en particulier de Felipe Caicedo, l’avant-centre de la sélection d’Equateur et il est assez difficile de gérer une activité en cabinet et absences professionnelles sur le circuit de tennis ou autre.
Vous êtes pour ainsi dire, une référence en France pour l’ostéopathie des sportifs :
Federer voyage à temps plein avec un kinésithérapeute français d’ailleurs, Stéphane Vivier qui est également ostéopathe. Son actuel préparateur physique, Pierre Paganini ne voyage que sur certains grands tournois. Son médecin de référence ne se déplace que rarement.
Pour ma part, je voyage en ce moment avec Vasek Pospisil, ATP33 pour une quinzaine de semaines à l’année. Pospisil a passé les 5 premiers mois de l’année avec de gros problèmes lombaires et il est venu me voir à Valencia car j’avais travaillé avec son coach, Fréderic Fontang quand il était joueur. Nous avons réglé le problème avec des séances de laser haute puissance Nd Yag de 30 watts et des séances d’ostéopathie. En une semaine, son problème était réglé et à partir de là, nous avons décidé de collaborer pour 15 semaines à l’année. Je vais gérer sa préparation physique, le suivi médical et j’aiderai son coach, Fréderic Fontang au niveau technique car je suis un spécialiste de la technique en tennis orienté biomécanique. J’ai écrit un livre sur l’œil directeur qui sera publié en français par les éditions De Boeck et qui traite de la technique du tennis en fonction des latéralités. Donc un peu de tout, ce qui fait qu’il est difficile de travailler avec moi car je déborde sur tous les domaines. Normal après 30 ans d’expérience au plus haut niveau.
Question de Morgane A. étudiante à l’école Oscar:
Les consultations en tennis sont très orientées dos, épaule, poignet, genou dans ma clinique mais je travaille en ostéopathie sur le circuit de façon systématique avant, après les matchs et les entraînements. Le suivi est régulier et c’est grâce à ce suivi qu’il y a finalement peu de blessures sérieuses. Je ne comprends pas qu’un Richard Gasquet soit arrêté 3 mois pour un problème de lombalgie. Ça m’étonne car l’équipe médicale de la FFT est de bon niveau.
Question d’Arthur V. étudiant à l’école Oscar:
La plupart des manipulations sont orientées sur la colonne vertébrale et sur l’épaule. Sacro-iliaques, sacrum, lombaires, dorsales, cervicales sont le pain quotidien des ostéopathes sur le circuit. Certains ostéopathes travaillent en relation avec des kinés mais pour mon cas, je suis kiné du sport et je gère moi-même mes rééducations. Je pense que c’est cette complémentarité qui m’a permis d’être référent au niveau mondial.
Question de Mélanie B. étudiante à l’école Oscar :
Quand je travaillais avec Roger, j’intervenais tous les jours de matchs, surtout la veille et dans l’après-match et de façon régulière durant les phases de préparation mais avec un peu moins de fréquence.
Question de Morgane A. étudiante à l’école Oscar :
Les contrats sont de durée limitée sur une année la plupart du temps ou sur des périodes de tant de semaines à l’année- Pour ma part, je n’ai pratiquement jamais travaillé avec un contrat et j’ai toujours décidé avec qui, quand et où je voulais travailler et à quel prix. Plutôt un fixe qu’un pourcentage, en règle générale, entre 2500 et 3500€ par semaine, frais compris.
Question de Marie C. étudiante à l’école Oscar:
Hélas oui. Les femmes ont clairement plus de difficultés à travailler le monde du sport mais le tennis féminin ouvre grande la porte aux femmes. Maintenant dans d’autres sports, il n’y a pratiquement pas de femmes. Pour une femme, travailler par exemple comme je l’ai fait avec Luna Rossa pour la Coupe de l’America en voile, ça serait difficile car l’équipage fait un poids moyen de 100 kilos pour une taille moyenne de 1m90. Je pense qu’il est difficile pour une femme de mobiliser un grinder de 130 kilos.
Questions de Franck Garnier, Ostéopathe D.O. et professeur à l’école Oscar :
Les soins au quotidien sont : suivi ostéopathique, stretching, renforcement musculaire spécifique en prévention de blessure comme le travail du Serratus pour l’épaule.
Federer est sollicité par de nombreux thérapeutes de toutes sortes et de toutes les formations possibles car traiter Federer est un atout commercial important. C‘était mon travail de faire le tri et d’apporter les petits plus par des experts extérieurs au système.
Il voit son ostéopathe tous les jours car il voyage avec lui.
Au niveau des bienfaits, il est clair que Federer est un des joueurs les moins blessés du circuit de part une technique simple et efficace et de par un suivi régulier au niveau médical et une préparation physique adaptée.
A ce niveau de compétition, le suivi médical est vital. L’ostéopathie a gagné ses lettres de noblesses grâce au sport qui l’a imposé aux médecins. Sans ostéo pas de sport de haut niveau, ça me paraît assez évident.
La partie alimentaire est très surveillée mais on ne peut pas comparer un tennisman et un athlète de 1500 ou 5000m. Les tennismen mangent de tout sans plus d’attention. A mon niveau, je fais 2 à 3 analyses annuelles en microbiologie, analyse de sang, urines et salive et on essaye de prévenir les déficits par une supplémentation adaptée en aminoacides.
Il est clair qu’un ostéopathe du sport vient du sport. Il faut donc connaître le sport sur lequel on travaille et connaître les technopathies propres à ce sport. Pour cela, il faut connaître la technique, le sport, le matériel et son athlète.
L’idée, c’est d’apprendre sur le terrain avec les entraîneurs, les athlètes et faire les formations adaptées mais attention car la formation est un business, et il est difficile de faire la part des choses quand on ne connait pas grand-chose au domaine qui nous séduit. Prendre du temps, se déplacer, ne pas avoir peur de déranger, montrer son degré de motivation et rester au contact des gens qui peuvent nous aider.
Oui, j’étais boxeur de bon niveau mais j’ai fait de tout. Athlétisme, funboard, golf, ski de piste et ski de fond, marathon et bien sûr tennis. Actuellement, je fais une heure de vélo par jour, un peu de musculation et 9 trous chaque soir au golf. Je joue environ handicap 10 et je m’amuse mais je ne sais pas faire les choses sans avoir l’esprit de compétition. Alors c’est souvent frustrant car la perfection n’est plus de mon âge.
Je préfère le tennis car je connais bien la technique et je comprends mieux les problèmes. Maintenant, je préfère les sportifs qui sont sains avec de bonnes mentalités et ouverts à tout ce qui peut les rendre plus forts.
J’ai toujours été très généreux dans ma vie professionnelle avec du charisme et donc ami de mes sportifs. Pendant 3 ans de ma vie, pour prendre l’exemple de Federer, j’ai passé plus de temps avec lui qu’avec ma femme et je lui ai prêté ma maison de Biarritz pour ses vacances en lui donnant même un peu d’argent pour l’aider. C’est le sportif aujourd’hui le mieux payé de la planète et ça me fait rire car je sais d’où il vient. Sara Errani qui a fait finale à Roland Garros a vécu deux ans dans ma maison, elle gagne aujourd’hui plus de six millions de dollars de Pricemoney, elle a oublié mais pas moi. L’important, c’est de ne jamais oublier d’où l’on vient et l’argent n’est qu’un moyen, en rien un objectif. Mon père était un médecin qui a laissé son nom à notre rue grâce à son humanisme et un ostéopathe est avant tout quelqu’un qui aide les autres et sa vraie richesse est là et pas dans le prix d’une consultation.
Pour ma part, je parle français, anglais, espagnol et italien. J’aimerai bien parler allemand et russe mais j’ai peur que ce soit un peu tard. Les langues sont vitales pour accéder au sommet dans ce métier. Notre clientèle est internationale si l’on parle les langues sinon c’est impossible. Au moins l’anglais ne serait-ce que pour pouvoir communiquer au niveau du sport de haut niveau et lire les publications de bon niveau.
Bonne chance à tous et rappelez-vous cette phrase de Still : « Apprendre, répéter, comprendre ! Comprendre peut prendre des années mais ce n’est pas important, l’important c’est de comprendre un jour ».
Ce fut un plaisir de pouvoir échanger avec vous,
Tous les étudiants et l’équipe de l’école Oscar vous remercient !